Avis sur internet crée des coups de gueule
Impuissants face au succès des sites de recommandations sur Internet et l’avalanche de critiques qu’ils jugent souvent malhonnêtes, ils réagissent et demandent une « moralisation » de ces pratiques parfois déloyales.
À fuir», «horrible», «une catastrophe». Quand les clients donnent leur avis sur un hôtel ou un restaurant sur Internet, le résultat est parfois sanglant. Avec l’immense succès des sites de commentaires d’utilisateurs dans lesquels les internautes peuvent émettre des avis, comme Yelp, Cityvox ou le géant TripAdvisor, la réputation d’un établissement ne dépend plus seulement de la critique d’un guide ou du bouche-à-oreille. Elle se joue également sur Internet.
Alors, face à ce déferlement, hôteliers et restaurateurs se demandent quelle attitude adopter. Faut-il «faire avec», en jouer ou au contraire lutter contre ces avis, quand près de 9 Français sur 10 les consultent et que 89 % d’entre eux les jugent «utiles» ou «très utiles», selon une étude récente? Certains ont décidé de ne pas se laisser faire. Fin mai dernier, alors que son restaurant jouit d’une bonne réputation sur le site TripAdvisor, un avis insultant achève de convaincre le chef étoilé Pascal Favre d’Anne de partir au combat contre ces sites de commentaires. Il lance la pétition «Non aux avis insultants envers les restaurateurs», destinée à sensibiliser le ministère du Commerce à ce problème, qui rassemble aujourd’hui plus de 1500 signatures.Dont de grands noms de la gastronomie française comme les frères Pourcel. En ligne de mire, le géant américain TripAdvisor. Avec 260 millions de visiteurs uniques par mois, 125 millions d’avis et opinions de voyageurs partout dans le monde, soit plus de 80 nouvelles contributions publiées chaque minute, le site est devenu une référence mondiale et l’ennemi numéro un de certains professionnels.
«Perversion du business»
«TripAdvisor est un site malhonnête», estime le réceptionniste d’un hôtel deux étoiles niçois dont l’e-réputation est médiocre. «Contrairement à un site comme Booking, sur lequel on doit avoir fait une réservation pour pouvoir mettre un avis, n’importe qui peut commenter.» Un manque de contrôle qui laisse planer le doute sur la fiabilité des commentaires et entrevoir la possibilité de fraudes. «Je sais de source sûre qu’un concurrent direct paye des étudiants pour inscrire des commentaires négatifs sur mon établissement», accuse Dan Hamon Serval, propriétaire d’une brasserie à Strasbourg, qui dénonce la «perversion du business» engendrée par les sites de commentaires.
Les inquiétudes des professionnels sont justifiées par une étude de la DGCCRF, selon laquelle près de 45 % des avis d’internautes sont biaisés, voire faux.«Les avis libres, de type rédactionnel, n’apportent pas de preuves d’achat», explique Laurent Duc, président de la branche hôtellerie de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). «Sur les blogs et les avis en ligne, on peut écrire n’importe quoi sur n’importe qui, en tout anonymat», regrette-t-il avant d’assurer que son organisation syndicale se déclare en faveur de ces sites, à condition de l’imposition d’un contrôle beaucoup plus strict. «Il faut une éthique, une moralisation», insiste Didier Chenet, coprésident du Groupement national des indépendants et président du Synhorcat, qui «ne veu(t) pas les interdire, mais mieux les contrôler!».
«Tenir compte de la part de vérité qui est contenue dans les commentaires»
Lui s’insurge particulièrement contre ces «officines basées dans les pays exotiques» où l’on peut acheter un certain nombre d’avis, positifs pour son établissement comme négatifs pour celui de la concurrence. Un phénomène qui n’a pas l’air de déranger plus que cela Stephen Kaufer, président de TripAdvisor. «Sur des millions d’avis, au fond, ça n’a pas beaucoup d’importance que quelques-uns soient faux», relativise-t-il dans une interview accordée ce mois-ci au magazine Capital.
Le dirigeant est également détendu vis-à-vis de la pratique en vogue du chantage au commentaire, la «chanputation» comme l’appelle Laurent Duc, néologisme créé à partir les mots «chantage» et «e-reputation». Stephen Kaufer estime que «menacer un hôtelier d’un avis négatif, ce n’est pas du chantage». Il pense que c’est même «une bonne chose». «Nous avons contribué à améliorer la qualité du service dans toute l’industrie de l’hôtellerie et de la restauration», assure-t-il, toujours à Capital.Certains commerçants sont toutefois satisfaits de leur e-reputation et y voient une opportunité de s’améliorer. Nicolas Lacroutes, directeur d’un hôtel à Saint-Jean-de-Luz, estime que se tenir au courant des avis d’internautes est devenu «primordial dans (son) métier», qu’il ne «peu(t) pas les ignorer». Selon lui, «chaque hôtelier est censé tenir compte de la part de vérité qui est contenue dans les commentaires».